
Mutélios Le Mag Online N°3 - Nutrition
Les troubles du comportement alimentaire (TCA) et le phénomène Skinny Tok
Qu’est-ce qu’un trouble du comportement alimentaire ?
Les troubles du comportement alimentaire (TCA) regroupent plusieurs pathologies caractérisées par une perturbation du rapport à l’alimentation et au corps qui s’installe durablement et qui est associée à une souffrance psychique. L’origine des TCA est assez mal connue. Il peut y avoir des facteurs de vulnérabilité (génétique ou biologique), des facteurs dits précipitants (régime alimentaire, puberté, modifications hormonales, événement de vie stressant…) et des facteurs de maintien du trouble (déséquilibres biologiques, pseudo-bénéfices psychologiques ou relationnels).
Ces troubles ne sont pas de simples caprices mais bien des maladies complexes, multifactorielles avec de graves conséquences sur la santé physique et mentale.
On dénombre 3 grandes catégories de troubles du comportement alimentaire :
- L’anorexie mentale : il s’agit d’une restriction alimentaire visant une perte de poids significative. Elle se caractérise par une peur intense de devenir gros, malgré une maigreur apparente et un poids en dessous de la normale. Cette distorsion de l’image du corps est proche de la dysmorphobie. Il existe deux sortes d’anorexies mentales : l’anorexie restrictive qui est la plus répandue (perte de poids via le jeûne, l’exercice physique à outrance) et l’anorexie hyperphagique associant boulimie et vomissements.
- La boulimie : elle correspond à l’ingestion d’un volume alimentaire largement supérieur à la normale dans un temps limité (moins de 2 heures en général), de manière compulsive ou ritualisée. Ces crises sont généralement associées à des sentiments de honte, de culpabilité et de perte de contrôle. La boulimie peut aussi s’accompagner de comportements compensatoires pour éviter la prise de poids : vomissements, prise de laxatifs, sport à outrance…).
- L’hyperphagie boulimique : elle se rapproche de la boulimie mais sans les comportements compensatoires. La personne va ingurgiter de grandes quantités de nourriture afin de ressentir l’inconfort de la distension abdominale. Elle va manger seule, en se cachant et ensuite se sentir coupable. Cette pathologie s’accompagne généralement d’une prise de poids excessive pouvant aller jusqu’à l’obésité morbide.
95% des personnes concernées sont des femmes
90% des personnes concernées ont entre 15 et 25 ans
600 000 personnes souffrent d’anorexie ou de boulimie
L’hyperphagie boulimique est le trouble le plus répandu
Il en existe d’autres moins répandues mais tout aussi dangereuses pour la santé physique et mentale :
- Le mérycisme : régurgitation ou remastication des aliments qui peut durer des heures avec pour objectif de tromper la sensation de faim.
- L’hyperphagie nocturne : prise alimentaire non contrôlée et excessive pendant la nuit qui peut parfois subvenir dans un état de demi-sommeil.
- La potomanie : besoin irrépressible de boire en grande quantité de l’eau pouvant atteindre parfois jusqu’à 10 litres par jour. Cela traduit généralement une volonté de se purger, de se purifier, se nettoyer et/ou de se remplir l’estomac pour ne pas manger.
- L’orthorexie : conduite alimentaire qui repose sur la volonté de se nourrir exclusivement d’aliments dits sains et de passer une part excessive de son temps à sélectionner les aliments, à les préparer. Cela peut être une porte d’entrée vers l’anorexie.
Si l’on veut traiter ces troubles du comportement alimentaire il convient de les repérer précocement pour une prise en charge rapide.
Quels sont les symptômes d’un TCA ?
Généralement ces troubles du comportement alimentaire ont tendance à s’installer de façon insidieuse et à se structurer progressivement. On ne devient pas anorexique du jour au lendemain. Cela commence le plus souvent par un régime anodin, pour se sentir mieux, manger plus sainement. Mais peu à peu cette démarche va s’intensifier, se radicaliser et prendre une dimension obsessionnelle et addictive.
Il est donc primordial de savoir identifier les comportements et symptômes problématiques comme :
- Les conduites alimentaires anormales : évitement des repas partagés en famille ou entre amis, rejet systématique d’aliments riches, précipitation aux toilettes après le repas…
- Le poids : perte ou prise de poids rapide et excessive.
- Les préoccupations liées au physique : importance excessive donnée à son image, pratique d’activités physiques à l’excès, déformation de l’image corporelle.
- Les changements d’humeur : isolement, repli sur soi, anxiété, dévalorisation, dépression.
Généralement, les personnes concernées tentent de dissimuler leurs symptômes, voire de les nier ce qui peut freiner la prise en charge de ces troubles du comportement.
Quels sont les risques pour la santé des troubles du comportement alimentaire ?
Les conséquences d’un TCA, et ce quel qu’il soit, sont multiples et malheureusement parfois irréversibles. Elles peuvent être :
- Physiques : dénutrition, carence, troubles cardiaques, ostéoporose, infertilité mais aussi décès.
- Psychologiques : dépression, anxiété, isolement social, idées suicidaires.
- Comportementales : repli sur soi, rupture des liens familiaux et amicaux.
Qui consulter en cas de troubles du comportement alimentaire ?
Même s’il existe des populations « à risque » (adolescentes, antécédents familiaux, mannequins, sportifs de haut niveau), la prise en charge des TCA nécessite l’intervention d’une pluralité de professionnels de santé afin de pouvoir traiter l’ensemble des aspects de ces pathologies, qu’ils soient physiques ou psychiques. Jouent un rôle primordial :
- Le médecin généraliste qui peut identifier le trouble lors d’un examen de routine et ensuite accompagner son patient tout au long de son traitement,
- Le psychiatre pour aider le patient à déconstruire les mécanismes qui entretiennent le trouble,
- Le diététicien ou médecin nutritionniste pour réapprendre au patient à manger de manière saine, équilibrée et variée en l’aidant à corriger de nombreuses mauvaises idées sur les aliments.
Guérir d’un trouble du comportement alimentaire peut prendre des mois, voire des années et nécessite l’implication de chacun : patient, professionnels de santé et entourage.
Témoignage
Léa, 19 ans ancienne patiente en unité TCA à Lyon :
« Tout a commencé avec des régimes pour ressembler aux influenceuses. Je comptais chaque calorie, je me pesais 10 fois par jour. Quand j’ai perdu 15kg en trois mois, mes proches ont tiré la sonnette d’alarme. J’ai fini hospitalisée pour dénutrition. Aujourd’hui, après deux ans de thérapie, je réapprends à manger sans culpabilité. Mais les séquelles psychologiques sont toujours là. »
Le phénomène Skinny Tok : un amplificateur des TCA
« Perdre 5kg, avant la plage », « comment avoir un corps musclé pour l’hiver ? » « Retrouver un ventre plat en 10 jours »… Les injonctions sur le corps des femmes perdurent et s’amplifient grâce aux réseaux sociaux où l’imaginaire du corps parfait se diffuse vite, fort et de manière insidieuse. Parmi ces tendances incitant à la minceur, le phénomène #Skinny Tok (contraction de maigre et de Tik Tok) apparu au printemps dernier sur le réseau social Tik Tok, a de quoi faire frémir avec ses 58.2 K publications !
Si les mots et surtout les formats changent, puisqu’on est passé du papier aux réseaux sociaux, le fond reste le même avec une glorification de la maigreur extrême obtenue au prix de restrictions alimentaires à haut risque et une culpabilisation pour celles qui n’y parviendraient pas !
À l’aide de vidéos courtes mêlant musiques entrainantes, filtres séduisants et récits de transformation physique rapide, de jeunes femmes parlent aux adolescentes pour les inciter à moins manger, à s’affamer. Elles glorifient la douleur de la faim et la prise de contrôle sur leur corps, et comme si cela ne suffisait pas, elles culpabilisent celles qui auraient la faiblesse de craquer : « Tu n’es pas moche, tu es juste grosse » « Si la nourriture illumine ta journée, c’est que ta vie est vraiment merdique », « Arrête de te récompenser avec de la nourriture, tu n’es pas un chien » ! et autres douceurs du même acabit ! Et une fois l’algorithme de la plateforme lancé, impossible de l’arrêter ! En quelques minutes le fil d’actualité est envahi par ce genre de contenu avec un effet de répétition quasi-hypnotique ! Nul doute qu’après une seule journée devant ce genre de contenu, une adolescente soit tentée de mettre ces injonctions en pratique afin de ressembler à ces « tiktokeuses » au sourire ravageur, au corps filiforme et à l’apparente bonne santé ! D’autant plus que le nombre de « likes » laissés sous ces vidéos semblent indiquer une approbation collective !
Au-delà de ce phénomène particulier qui a défrayé la chronique, il est primordial d’être vigilant sur les contenus regardés par nos enfants sur les réseaux sociaux, de leur apprendre à détecter les fausses évidences mais aussi de les sensibiliser aux dangers des troubles du comportement alimentaire.
Parallèlement, les pouvoirs publics ont eux aussi un rôle à jouer avec le renforcement de la modération des contenus dangereux afin de limiter l’exposition des plus jeunes. Enfin, les campagnes de prévention doivent apprendre à parler aux adolescents avec les mêmes codes, les mêmes ressorts et moyens que ces fameuses « tiktokeuses » afin de promouvoir une image corporelle positive, une alimentation équilibrée et contrer ainsi leurs dangereux discours.
Nos magazines mensuels
Le magazine est publié tous les mois et est aussi disponible en version PDF